Esperanto & Volapuk
Jacques Melot
melot at ISMENNT.IS
Tue Feb 27 23:54:32 CST 1996
Apres avoir redige le texte suivant, hier, j'avais decide de ne pas
l'envoyer, en grande partie pour ne pas surcharger les abonnes a Taxacom,
mais comme je vois que Joe Laferriere et Michael Ivie continuent a
s'exprimer sur la question, je me decide finalement a le communiquer:
ESPERANTO, VOLAPUK OU PLURALITE LINGUISTIQUE?
L'usage de l'esperanto comme langue universelle est considere par beaucoup
comme une solution artificielle sans fondement historique. L'esperanto
n'est pas la langue d'une culture, sinon indirectement, ou, plus
exactement, insidieusement.
En effet, les peuples de langues germaniques, par exemple, apprennent plus
facilement (je ne dis pas: plus volontiers) les langues germaniques que les
langues non-germaniques et la meme chose peut etre dite des romans en ce
qui concerne les langues romanes, etc. En dehors des questions de structure
grammaticale ou syntaxique de la langue, les raisons en sont
essentiellement psychologiques et touchent a l'identite et a la
sensibilite: le lien entre les langues et la mentalite de ceux qui les
parlent est fortement ressenti et en cas d'ecarts importants engendre des
resistances qui peuvent aller parfois jusqu'a l'aversion. Autant que je
sache, l'esperanto (de meme que l'ido et l'interlingua) est base sur un
fond essentiellement roman (latin) alors que, par exemple, le volapuk l'est
sur un fond essentiellement germanique (volk/sprache, folk/spraak, etc.).
Pour cette raison on peut penser que les anglophones, n'admettront JAMAIS
l'esperanto comme langue universelle, a fortiori si l'on tient compte de
leur suprematie linguistique actuelle, et LE MEME PROBLEME se poserait pour
les latins si l'on imposait le volapuk.
D'ailleurs cela ne resoudrait pas le probleme special a l'Histoire
Naturelle: un naturaliste qui ne cherche pas a conformer la realite a ses
lacunes d'education doit consulter des textes parmi une masse enorme de
documents ecrits dans des langues diverses et il est totalement impossible
de tout traduire. Ou trouverions nous l'argent, nous qui avons deja du mal
a payer le papier de nos photocopieuses?
La solution la plus economique est -- et restera -- d'apprendre a lire les
langues que notre profession de naturaliste nous amene a savoir lire.
IMPERIALISME LINGUISTIQUE = INFIRMITE LINGUISTIQUE
L'idee d'une LANGUE UNIQUE ou d'une MACHINE QUI TRADUIT automatiquement les
langues est typique des anglophones et des... francophones et ne fait
qu'exprimer l'INFIRMITE LINGUISTIQUE sans borne de l'immense majorite de
ceux qui ont l'anglais ou le francais comme langue maternelle. Les
Scandinaves, par exemple, qui n'ont pas le meme passe imperial, ne
souffrent en general pas de cette infirmite, ni les Hollandais, ni les
Allemands... Dans tous ces pays on apprend une langue des qu'on estime en
avoir besoin, sans apprehension particuliere, et cela ne concerne pas
seulement l'elite de la population. Tous ces peuples sont des peuples de
culture germanique pour lesquels l'abandon de leur langue au profit d'une
autre langue germanique, l'anglais, n'est pas ressenti comme une perte
d'identite a ce point angoissante qu'elle se traduise par un refus ou une
revolte. Pour les peuples romans, par exemple, cela est beaucoup plus
difficile, particulierement pour les Francais et les francophones. Cela est
un fait: meme si les individus n'arrivent que partiellement a exprimer ce
qu'ils ressentent en rapport avec la complexite des problemes touchant a
l'identite, a langue et a la pense, ils n'en ressentent pas moins un
profond malaise.
Dans les pays anglophones et francophones, l'apprentissage d'une langue
s'apparente, dans l'esprit de la population (a tous les niveaux
d'education), a celui d'un veritable metier, a une tache pratiquement
insurmontable pour celui qui n'est pas specialement doue ou pour celui qui
est deja entre dans la vie professionnelle. La position des scientifiques
Francais est d'ailleurs tres ambivalente et je sais par experience que
nombre d'entre eux, a vrai dire la majorite d'entre eux, je n'hesite pas a
le dire, qui pensent ne pas avoir d'autre choix que d'abandonner leur
langue comme moyen d'expression scientifique au profit de l'anglais, le
font a contrecoeur, notamment pour echapper a l'angoisse - veritable
terreur chez certains - de devoir apprendre d'autres langues, l'allemand en
premiere ligne, s'ils devaient adopter une politique de pluralite
linguistique coherente. Je le sais d'autant mieux que... j'ai ete un de
ceux la!
Les anglophones connaitraient exactement le meme desarroi, la meme crise
d'identite, si leur langue n'etait pas en position dominante.
Salutations distinguees,
Jacques Melot, Reykjavik
melot at ismennt.is
J'ajoute a l'intention de Joe Laferriere et Michael Ivie que les Francais,
a part peut-etre une faible minorite de personnes hypersensibilisees, dans
l'ensemble ne sont pas contre la langue anglaise, mais plutot contre le
tout-anglais impose par la force et dont le resultat est ressenti a juste
titre comme une forme de sterilisation. De nombreux Americains, c'est un
fait, ne sont pas pres a jouer le jeu de l'internationalisme sinon a sens
unique: lorsque, au cours d'un voyage en Islande, en Norvege, en Allemagne,
en Russie ou n'importe ou dans le monde ils decouvrent dans les bureaux de
poste que tous les formulaires sont rediges dans la langue du pays et... en
francais - qui est la langue universelle des Postes - sans un mot
d'anglais, on les entends!
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